J’entends le 28 novembre, sur une radio musicale, un très honorable journaliste (de Valeurs actuelles) vanter le système social néo-zélandais, et le recommander pour combler le « trou de la Sécu ». Il s’agit de« responsabiliser » le citoyen-client-patient.
Par exemple, dit-il, prenons un fumeur (qui d’autre, évidemment ? Gare à vous N. Gauthier, A. de Benoist et autres nostalgiques de Bogart, Malraux ou Camus, au choix). Son médecin lui a dit d’arrêter de fumer. Il n’obtempère pas. Il tombe malade. Eh bien, l’État ne prend plus en charge les soins, qu’il se débrouille avec son assurance privée. Imitons-les, dit notre journaliste, et le tour est joué, la Sécu sauvée, les Français soulagés, la morale sauve, le petit rapporteur qui sommeille en chacun pourra s’en donner à cœur joie pour l’enquête nécessaire à la preuve du crime.
Bien sûr, il ne faut pas s’arrêter à ce seul exemple : devront être exclus des soins les buveurs (jusqu’à combien de verres par jour ? Et de quel alcool ?), les drogués qui ne se pointeront pas dans les salles de shoot, les gros mangeurs qui préfèrent les féculents et la charcuterie au cinquième fruit ou au quatrième légume, les amateurs de sports extrêmes (pourquoi, si je ne peux plus ni fumer, ni boire, ni manger, permettre à d’autres de se lancer dans des sports de ce genre, aussi dangereux qu’inutiles ?).
Et puis encore, les amateurs de pratiques sexuelles à risques : tu n’as pas mis de préservatif, tu n’as pas exigé que ton partenaire en mette, pas de remboursement. Ou bien les accros à la télé ou à l’ordinateur ou aux jeux vidéo : manque de mouvement, muscles mous, cerveaux fatigués, danger.
Trop de sucreries et on vous sucre les remboursements dentaires.
J’allais oublier tous ceux qui ont des antécédents familiaux de maladies potentiellement héréditaires. Si ma mère a eu un cancer du sein, je risque d’en avoir un et de le transmettre, donc je dois éviter d’avoir une fille et me plier à l’ablation préventive : une petite opération pour une grande économie.
À vous, lecteurs, réfléchissez et vous trouverez bien d’autres conduites douteuses propres à valoir l’exclusion (j’y pense : n’y a-t-il pas des quartiers où l’on s’obstine à habiter malgré les risques ? Certains ne s’acharnent-ils pas à vivre trop vieux ?). Finalement, les finances de la protection sociale seront resplendissantes, la France rayonnera pour sa bonne santé, puisque les statistiques seront établies d’après les remboursements officiels. Mais une question : tous ces gens « à risque » seront-ils dispensés de cotiser à la Sécu ?
Néo-puritanisme ? Ou plus pervers : entre la censure des mots qui vise évidemment à la censure des idées (comment penser ce que je ne puis nommer ?) et la censure des comportements, nous glissons doucement dans la société moutonnière que peignait Tocqueville à la fin de son grand œuvre :
… le souverain étend ses bras sur la société tout entière, [...] il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.