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Elections législatives à Alger le 10 mai 2012. REUTERS
L'AUTEUR
Printemps arabe oblige, tous les regards étaient tournés vers l’Algérie ces dernières semaines: s’y jouaient le 10 mai de élections qui devaient confirmer la règle « arabe »: un Bouazizi s’immole, un dictateur tombe, des islamistes arrivent au pouvoir.
Sauf que dans cette séquence, rien n’était algérien. Dès les premiers mouvements de foules en février 2011, le Pouvoir a fait vite: il prit Bouazizi dans ses bras, lui a donné une seconde charrette, un prêt bancaire sans intérêts, une promesse d’emploi.
Plus rapide encore, le Pouvoir algérien a promis des élections, a levé l’état d’urgence, et a agrée une quarantaine de partis en six mois. Le Bouazizi ne s’est pas immolé. Il a seulement pris du poids. En théorie, car dans la pratique, ils sont des centaines à se brûler mais à n’éclairer personne.
En second, le dictateur n’a pas fui car il n’existe pas: en Algérie, il n’y pas de démocratie, mais ce n’est pas une dictature classique. C’est un « système »: de rentes, de corruptions, d’irrespect des libertés, mais clandestin et malin. Tellement et si bien qu’il en sera difficile de conjuguer à la seconde personne du présent le verbe dégager. « Dégage » pour qui en effet? Les généraux anonymes?Les services clandestins? Les ministres inutiles?
La dictature algérienne existe mais paye bien
On ne sait pas, il n’y a pas de noms. La dictature algérienne existe mais paye bien. Du coup, les Algériens ne demandent pas son départ mais qu’elle les associe à sa rente et à son pétrole. Après des largesses invraisemblables en 2011 pour « acheter la paix », le régime algérien est appelé par le FMI à modérer ses dépenses. Du coup aussi, 9000 émeutes en 2010 et pas une seule révolution. Les gens demandent un emploi, une route, de l’argent mais pas le départ du régime d’une manière collective.
La séquence Bouazizi/révolution/islamisme victorieux n’est pas valable en Algérie, apparemment. C’est l’une des bonnes entrées pour comprendre les résultats des dernières élections législatives: au contraire des prévisions, les islamistes reculent, les nationalistes du parti unique FLN avancent et les partis alternatifs sont boudés.
En 2012, et pour le casting, l’Algérie est celle des élections de 2007 ou de 2003 ou de la fin des années 90: le triptyque de base est celui des islamistes softs assimilés, des nationalistes du parti unique et des laïcs enfants de l’administration et de la vaste bureaucratie rentière.
Pour les noms, il s’agit de l’Alliance verte (holding d’islamistes entre le MSP, Ennahda et Islah fondé durant le printemps arabe pour surfer sur la vague panarabe des islamistes), le vieux FLN et le RND. Il faut à peine parler des autres sigles dont n’émerge que le plus vieux parti d’opposition algérien, le FFS.
Pourquoi les Algériens se sont rués vers le FLN
C’est ce podium qui se retrouve consacré sauf pour les taux: en 2007, le FLN raflait 34,96% des votes, le RND 15,68% des sièges, et les islamistes 13,37% des sièges pour cette assemblée arrivé en fin de mandat en 2012. A comparer en 2012: le FLN 478, 62% des sièges. Le RND 14, 72% et les islamistes 10,39%. Les islamistes versions 2012 sont pourtant trois partis d’une alliance qui a promis le ras de marée sur le mode Ennahda en Tunisie ou Frères musulmans en Egypte.
Que s’est-il passé? Pourquoi les Algériens se sont rués vers le FLN, pourtant de mauvaise réputation pour son passé de parti unique policer? Pourquoi ont-ils boudé les islamistes qui gagent partout ailleurs? Plusieurs raisons et pas seulement celles de l’hypothèse de la fraude.
Un, à cause de Bouteflika: à Sétif le 08 mai dernier, Bouteflika a fait un discours qualifié de mémorable: il a expliqué que sa génération était fatiguée, qu’il se sent usé, que la génération de la guerre de Libération se devait de « transmettre les pouvoirs », que le pays était la visé de complots étrangers et qu’il faut enseigner l’histoire sereine et objective aux jeunes générations, de part et d’autre de la méditerranée.
Dans la foulée, on retiendra cependant son appel masquée à voter FLN: « C’est mon parti ». Du coup, sensibles, émus, ceux qui ont voté, ont voté « Bouteflika », c'est-à-dire FLN. C’était un «Aidez-moi» De Gaullien pour ceux qui veulent la traduction.
La seconde raison? Les islamistes. Ils font illusion avec « L’islam est la solution » en Tunisie, en Egypte, au Maroc mais pas en Algérie. La raison? 200.000 morts, dix ans de guerre et une perte de crédit de leurs leaders.
En 2011, Ali Benhadj, le cofondateur du FIS , le premier parti islamiste dans le monde arabe à participer et remporter des élections en Algérie, a été chassé d’un quartier populaire à Alger pendant des émeutes début 2011. En vingt ans, les islamistes sont passés de statut de victime, à celui de complice avec le Pouvoir: ils sont devenus riches, rentiers, ministres, cadres, représentants…etc.
L’illusion islamiste et son utopisme ne fonctionnent plus
Du coup, les Algériens ont été nombreux à ne pas voter et nombreux à voter. Le taux de participation reste douteux pour certains mais il dessine au mieux les grands courants. Les Algériens, ceux qui ont voté, l’ont fait par peur: la propagande officielle avait travaillé depuis des mois l’équation « demande de changement= chaos ».
Le vote ne pouvait être que «conservateur»
Le vote ne pouvait être que «conservateur», tourné vers le Front de Libération, parti connu, « pratiqué », implanté. Fort d’avoir gagné une guerre de Libération et donc soucieux et conscient de ce que signifiait la souveraineté. C’est un vote-refuge et un vote de peur et il faut seulement parcourir les rues algériennes pour s’en convaincre: à ceux qui rejetteraient le Pouvoir et ses élections, s’opposaient ceux qui croyaient au complot international et à une mobilisation contre un ennemi externe.
Des islamistes affaiblis et peu crédibles
En face du FLN, il n’y avait donc que des islamistes affaiblis et peu crédibles, des laïcs peu implantés dans le monde rurale (vaste monde algérien), des micro-partis sans soutiens. En seconde position viendra le RND, parti de l‘administration, crée début des années 90 pour contrer les islamistes du FIS.
S’y regroupent les cadres de l’administration algériennes, les bureaucrates, les rentiers et quelques lobbys d’affaires. Pourquoi des Algériens ont préféré donner leur voix au RND mené par Ahmed Ouyahia, un premier ministre honni?
« C’est simple, ceux qui ne se reconnaissant pas dans le conservatisme du FLN, ni dans les islamistes, ni dans les partis ghettoïsés par la Kabylie comme le FFS, n’avaient pas d’autres choix que le RND, parti stabilisateur et expression directe d’intérêts directs d’une caste de bureaucrates. Cela étonne? Non: l’administration algérienne emploi une armée de cadres kabyles qui se méfient de l’extrémisme des berbéristes et détestent le FLN. Que reste-il? Le RND. C’est presque une malice du destin que ce parti soit mené par… un Kabyle, Ahmed Ouyahia » nous explique un politologue.
A la fin, la bonne question: celle des islamistes. L’Algérie se dirige donc vers son statut régional d’exception. Ses islamistes reculent au lieu d’avancer. Son ex-parti unique est plébiscité au lieu d’être honni. Ses populations veulent être associées à la rente du régime au lieu de renverser le régime.
Ses opposants n’y peuvent rien, là où dans les autres pays ils peuvent chasser des dictateurs et Bouteflika émeut au lieu d’être haie. Une démocratie donc? Non. Seulement un pays par défaut, pour un vote par défaut pour une solution par défaut. La conclusion de beaucoup est que les pays arabe « s’algériannise » comme l’Algérie en 1990. Les algériens voient dans l’Egypte et en Tunisie ce qui s’est passé chez eux il y a 22 ans. Donc, que se passe-t-il aujourd’hui en Algérie? Ce qui se passera en Egypte dans vingt ans.
Consacrer l’idée de base d’une exception algérienne
A la fin? Le régime aura réussi à consacrer l’idée de base d’une exception algérienne. On n’en mesure pas encore l’impact dans le reste du monde arabe et dans la région du Maghreb où les islamistes ont espéré une union verte.
Brimant l’opposition, émiettant les partis, disqualifiant les islamistes en les assimilant, encourageant le conservatisme et jouant sur la menace et les exemple des chaos voisins, le régime aura réussi à faire voter les Algériens qui ont voté dans le sens voulu: sans fraude massive, ni élections comiques. Ce n’est pas la démocratie, à vraiment parler. Mais on peut aussi refuser démocratiquement la… démocratie.
Résumé pour le petit futé: l’Algérie est un pays où l'on pourchasse les chrétiens, où on arrête les mangeurs du ramadan, où on ferme les bars, où les mosquées sont plus nombreuses que les toboggans et où les femmes sont voilées, empaquetés, emballées et livrée au mâle dominant. Mais c’est un pays où les islamistes ne gagnent pas les élections, où l’on vote pour le parti unique là où les autres arabes le pourchasse chez eux, où on n’aime pas le régime mais seulement le Président, où il n’y pas de dictateur mais où il y a dictature.
« Les Algériens cautionnent la politique qu’ils contestent régulièrement : Paradoxe populaire dans l’hémicycle ! » titre un journal algérien au lendemain des élections du 10 mai.
C’est un pays vaste, le plus grand d’Afrique, avec une police politique mais de l’insécurité, un Régime fort avec un Etat faible, des élections propres qui consacrent le parti unique au lieu de le chasser, une population qui aime la révolte mais pas la révolution. Que faut-il en comprendre?
Peut-être la peur du changement et le désir de changer à la fois. Schizophrénie d’Algérien de base: vouloir avoir une femme voilée et une maitresse en min jupe comme a dit un collègue. C’est la définition du vote conservateur des Algériens, dans le cadre du printemps arabe. Pour l’essentiel, et pour beaucoup d’Algériens, les islamistes ont perdu. Une illusion majeure.
Kamel Daoud