C’est au tour de l’Alsace d’être la proie des émeutes urbaines. Dans cette région particulièrement touchée par le Covid-19, un équipage de police a été requis dans la nuit du 20 au 21 avril. Un «important dégagement de fumée», selon le document interne à la police que nous avons pu consulter, avait été repéré derrière le bureau de police de la rue Schulmeister, à Strasbourg.
Sur les réseaux sociaux, une vidéo circule: des jeunes s'en prennent à ce poste, jetant trois cocktails Molotov. Le groupe d’individus a rapidement pris la fuite, détruisant au passage des rétroviseurs de véhicules. Au petit matin, les traces de noircissures sont relatives. Mais sur les vidéos diffusées par les malfaiteurs, les flammes sont impressionnantes. Selon la police, ces images diffèrent.
C'est d'ailleurs en réalité une annexe de la mairie qui a été touchée par les flammes. Mais le symbole reste catastrophique, alors que le hashtag #mortsauxporcs (qui désigne les policiers) tourne en tête des tendances sur les réseaux sociaux depuis quelques jours.
L'émeute, outil de contrôle du territoire
Les violences se multiplient à travers tout l’Hexagone, jusqu’à toucher des communes pourtant privilégiées. Ainsi, des feux ont-ils été allumés à Meudon-la-Forêt (92). Il y a un mois, Michel Aubouin en était persuadé: les choses allaient mal tourner. En contact avec des élus de quartiers difficiles, l’auteur de l’essai 40 ans dans les cités (Presses de la cité, 2019) s’étonnait de la naïveté ambiante: «personne ne pensait que j’aurais raison…» Mais l’intuition de l’ancien préfet a malheureusement eu le dernier mot.
«Le sujet, ce n’est pas la bavure!» s’insurge-t-il, évoquant l’accident de Villeneuve-la-Garenne (92) du 18 avril dernier. Non, pour Aubouin, le problème, «c’est que des jeunes continuent de considérer qu’ils sont au-dessus de toutes les lois»: sous contrôle judiciaire pour menace avec une hachette, l’individu qui pilotait sans casque et sur le trottoir la motocross qui a percuté la voiture de police accumulait déjà quatorze condamnations dans son casier judiciaire. «Il refusait que la police fasse son travail, il estimait que c’est sa loi, ou celle de sa bande, qui doit régner», tranche-t-il.
«Ça va prendre en cascade dans beaucoup de quartiers. L’émeute a pour fonction le contrôle du territoire», prévient Michel Aubouin au micro de Sputnik.
Une mécanique de la violence identique aux grandes émeutes de 2005, bien que l’intensité ne soit «pas encore la même.» C’est aussi un réflexe intrinsèquement lié au trafic de stupéfiants: «l’assèchement du marché de la drogue en période de confinement met les caïds sous tension», explique-t-il.
Écouter ce haut fonctionnaire au ton paisible et aux allures de bon père de famille nous expliquer les ficelles des dealers ne manque pas de faire sourire. Mais notre interlocuteur a parcouru en long et en large, et pendant quarante ans, les quartiers sensibles. En 2016, il rendait un rapport au premier ministre sur la ville la plus pauvre de France, Grigny (91). Il connait les maux qui touchent ces zones criminogènes: «les trafiquants sont souvent sur les parkings.
Les voitures ne peuvent pas être fouillées par la police, on peut cacher des choses. Et en plus, les parkings d’immeubles ont un statut privé. Ils ne savent pas toujours pourquoi légalement, mais ils ont bien compris où la police allait et où elle n’allait pas.» Et à ce petit jeu, les forces de l’ordre sont loin de l’emporter:
«Le rapport de force est favorable aux trafiquants: ils tiennent le terrain, ils sont plus nombreux et les forces de l’ordre sont mobilisées par le confinement.»
Le 20 avril au soir dans la cité des 3.000 à Aulnay-sous-Bois (93), la situation n’a en effet pas tourné à l’avantage de ces dernières. Selon nos informations, ordre a été donné de se retirer face aux tirs de mortier d’artifice et aux cocktails Molotov, en l’absence d’appui héliporté.
Révolte ou guérilla?
Pourtant, certains essaient de justifier la situation: les émeutes seraient des «révoltes» face à l’accumulation d’injustices. Un discours qui exaspère Michel Aubouin: «quelle fracture sociale justifie d’aller incendier la voiture du voisin?»
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Si Michel Aubouin ne nie pas les difficultés économiques, il n’en reste pas moins dubitatif face à cette seule explication matérialiste:
«Le secteur HLM offre des appartements relativement grands par rapport aux logements parisiens, où les habitants se logent par eux-mêmes… à Grigny 2 [dans le 91, ndlr], ce sont de très grands appartements.»
Critiquant ainsi les «discours militants», il estime que les conditions de vie en milieu HLM ne sont pas plus dégradées que celles en milieu privé. Et l’ancien haut fonctionnaire de rappeler que «des millions de gens sont confinés dans leurs petits appartements», sans pour autant commettre d’actes délictueux ou criminels.
Les tensions vont-elles baisser après le 11 mai?
Quant à la suite, Michel Aubouin perçoit deux scénarios. Difficile de trancher. «Peut-être que le retour à la scolarité pourrait refaire baisser la tension après le 11 mai», pense-t-il à voix haute. Après tout, les voyous sont bien souvent jeunes, très jeunes.
Désœuvrés, ils subissent aussi les déterminismes culturels des familles originaires du Maghreb: «toute l’année, les femmes et les filles sont confinées, tandis que les garçons, eux, sont dehors.» Le confinement créé dès lors des tensions.
Mais le déconfinement pourrait bien ne pas être synonyme de pacification: «je serais le ministre de l’Intérieur, je commencerais à réfléchir pour mettre des moyens supplémentaires là où le déconfinement risque de générer en scènes de liesse.» Comme une victoire contre l’État?
«On risque d’avoir des gens qui fêteront le déconfinement», prévient Michel Aubouin. À travers toute la France, bien sûr, mais avec une particularité dans les zones criminogènes: «il ne faudrait pas qu’on le fête comme le 31 décembre en allumant des feux de voiture.»
Et le ramadan, qui doit commencer le 24 avril pourra-t-il aggraver la situation dans les quartiers prompts à refuser le confinement? Cette fois, l’ancien préfet relativise: «je pense que non.» En effet, les mosquées et salles de prière sont fermées. «Bien sûr, il risque d’y avoir un nombre plus important de gens dans les appartements le soir» pour la rupture du jeûne, admet-il. Mais c’est le déconfinement qu’il craint davantage, «surtout s’il vient se superposer avec la fin du ramadan.»
L’État doit s’appuyer sur les maires
D’ici là, comment pacifier les zones sensibles? «Entre nous, je pense que l’État devrait plus s’appuyer sur les maires», estime-t-il: «il faut faire du renseignement de terrain et recontacter les familles de ces jeunes.» Un «travail de repérage» donc, afin de rappeler aux mineurs délinquants et à leurs éducateurs les règles: l’État se doit de «taper du poing sur la table».
Une ligne rouge donc, des sanctions sévères. Mais jusque-là, le message du gouvernement n’a pas été assez clair, à l’image du Secrétaire d’État Laurent Nuñez déclarant le 18 mars lors d’une visioconférence avec les préfets que «faire respecter dans certains quartiers les fermetures de commerces et de faire cesser les rassemblements» n’était pas «une priorité».
Un aveu terrible de laissez-faire et un sentiment intolérable pour les familles qui restent confinées, selon Michel Aubouin. Les violences qui s’étendent alors que la majorité de la population respecte le confinement ne manqueront pas de créer un sentiment d’injustice et une nouvelle tension traversant «toute la société.»
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