Le glyphosate passe de cancérogène à perturbateur endocrinien comme par magie. La rigueur scientifique est mystérieusement absente.
Jeudi dernier, les représentants des États membres devaient se prononcer à Bruxelles sur le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate, un herbicide total vieux de plus de 40 ans, le plus employé dans le monde, vendu aux particuliers dans les jardineries et grandes surfaces, et même les supérettes de campagne.
Cette décision a une portée considérable : c’est l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation européenne qui est en jeu. C’est le cas aussi de l’environnement et de la santé publique, mais dans un sens contre-intuitif : l’interdiction du glyphosate impliquera sans nul doute l’utilisation de produits bien plus préoccupants. Et, pour l’environnement, ce sont les techniques de culture simplifiées qui risquent de pâtir d’une décision négative. Il ne faut certes pas céder au catastrophisme, mais il importe de bien saisir les enjeux.
Sauf erreur, le vote des États membres n’est que consultatif et ne s’impose pas à la Commission. Il va de soi, cependant, que celle-ci pourra difficilement passer outre un résultat négatif et adopter la décision qu’elle a proposée ; ce serait immédiatement interprété comme une priorité donnée aux intérêts économiques au détriment de la santé publique. Notre construction européenne fort malmenée n’a pas besoin de ça. Les États membres enclins à poursuivre à Bruxelles une manœuvre de basse politique national le comprendront-ils ? La France… ?
Peste ! Le glyphosate n’est plus cancérogène…
Pendant des mois, un certain membre du gouvernement – enfin de la principauté environnementale – a surfé sur la décision du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) de classer le glyphosate comme « cancérogène probable », s’alimentant auprès de l’activisme anti-pesticides et anti-capitaliste, et l’alimentant en retour.
Cet argument vient de tomber avec fracas : la Réunion conjointe de la FAO et de l’OMS sur les résidus de pesticides (Joint FAO/WHO Meeting on Pesticide Residues – JMPR), qui a tenu une session extraordinaire du 9 au 13 mai 2016, a conclu que « le glyphosate n’est vraisemblablement pas génotoxique [unlikely to be genotoxic] aux expositions alimentaires prévues » et que « le glyphosate ne pose vraisemblablement pas de risque cancérogène [unlikely to pose a carcinogenic risk] pour l’Homme par l’exposition par l’alimentation. » Et l’OMS a fait diligence pour publier un pré-rapport « pour que l’information puisse être disséminée rapidement ».
Digressons brièvement, enfin pas vraiment : le CIRC est sous l’égide de l’OMS. Nombreux ont été ceux qui ont fait le raccourci pour donner plus de poids à leur boniment : « L’OMS a classé… ». Ils ont l’air fin maintenant…
Tenez, Mme Ségolène Royal a déclaré le 4 mars 2016 :
« Il faut vraiment que l’Union européenne et la Commission s’alignent sur la position la plus protectrice de l’environnement et de la santé. La France va pousser pour la position la plus offensive qui est la position de l’OMS. »
Voir par exemple ici, mais la déclaration a bien sûr été reprise par les médias militants. En fait de position offensive, c’était plutôt une offense à la raison et à la bonne foi…
Digressons encore : certains activistes ont accusé l’OMS de vouloir peser – indûment, cela va de soi – sur la décision européenne. C’est oublier que la réunion de la JMPR avait été programmée à l’automne 2015, et que la décision européenne aurait dû être prise le 8 mars 2016. Mais la fin justifie les moyens, même les plus infâmes.
C’est abracadabrantesque… le glyphosate est devenu un perturbateur endocrinien
Or donc, la France est entrée en campagne électorale et il faut donner des gages à la bien-pensance « écologique ». De toute manière, flatter la minorité qui peut faire la différence est un besoin permanent (c’était pareil sous la présidence précédente), et nous devons de surcroît souffrir un ministre de l’Agriculture aux opinions bien arrêtées. La France s’opposera donc au renouvellement de l’autorisation du glyphosate. M. Le Foll l’avait dit au Sénat le 12 mai 2016 dans une déclaration confuse dont le sens est maintenant clair.
En campagne électorale ? C’est Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires Sociales et de la Santé, qui est montée au front le mercredi 18 mai 2016, dans la Matinale de France Info. Qu’a-t-elle dit ?
« Le président de la République a dit très clairement lors de la dernière conférence environnementale que le glyphosate ne serait pas autorisé en France car indépendamment des débats sur le caractère cancérigène ou non du glyphosate, nous considérons, et les études dont nous disposons montrent que c’est un perturbateur endocrinien ».
Selon elle,
« d’autres études sont attendues pour 2017 mais en attendant, nous ne renouvelons pas l’autorisation du glyphosate ».
Formidable ! Le glyphosate était cancérogène, selon l’OMS, argumentum ad auctoritatem oblige, l’argument tombe et, hocus pocus, il devient un perturbateur endocrinien.
Mensonges d’État…
Bien évidemment, notre respect inconditionnel pour notre gouvernement et notre confiance inébranlable dans sa bonne foi nous imposent de croire que ces études n’ont pas été gardées sous le coude, mais qu’elles ont été faites et sont apparues, comme par magie, entre le 12 et le 18 mai 2016.
Au fait, nos dirigeants se souviennent-ils qu’ils ont délégué à l’ANSES, à compter du 1er juillet 2015, en application de l’article 51 de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, la mission de délivrer, retirer ou modifier les autorisations de mise sur le marché et permis des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et supports de culture et des adjuvants ?
Le 17 septembre 2015, Mme Catherine Regnault-Roger, professeur des universités émérite à l’Université de Pau et des pays de l’Adour, membre de l’Académie d’Agriculture de France, s’était insurgée dans la Tribune contre la « petite » loi, petite car composée d’un seul article, sans aucun considérant, votée dans l’urgence le 2 juin 2014 pour interdire en France la mise en culture des variétés de maïs OGM. Elle considérait, à juste titre, que cette loi était fondée sur un mensonge d’État, une décision strictement politique, non fondée scientifiquement. Elle écrit « Elle repose sur une duperie scientifique organisée dans les hautes sphères du pouvoir ».
En matière de mensonges d’État, nous pouvons penser que nous venons de voir pire.
(...)
France Info face à l’hystérie anti-glypho
France Info a fait fort avec, si nous avons bien compté, sept articles récents sur son site. Les journalistes se sont attaché à faire preuve de neutralité. Et ils ont plutôt réussi, du moins à l’écrit, et sachant qu’en cette période d’hystérie anti-glypho, on pouvait s’attendre au pire (mise à jour ci-dessous).
Il y a un « Renouvellement du glyphosate : « Il faut faire confiance à nos instances » (porte-parole plate-forme glyphosate France) ». Ce n’est pas tous les jours que l’on donne la parole à M. Yann Fichet…
Ce billet fait le pendant de « Renouvellement du glyphosate : « Le principe de précaution doit prévaloir » (Greenpeace France) ». L’argumentation de GP est intéressante ; Suzanne Dalle explique :
« On attend une étude d’ici l’année prochaine de l’agence européenne sur les produits chimiques avec une évaluation des impacts sur la santé humaine, mais en attendant, il nous semble indispensable d’interdire les usages ».
Mais peut-être n’ont-ils pas eu, chez Greenpeace, les études sur la perturbation endocrinienne qui ont convaincu notre gouvernement…
Dans « Agriculteur avec ou sans glyphosate : deux conceptions du métier », la journaliste a tenté un exercice d’équilibre : 240 hectares cultivés avec du glyphosate pour l’un, qui « arrive à produire beaucoup : plus de 100 quintaux à l’hectare pour le blé » ; et pour l’autre 40 hectares en agriculture bio… pour quels rendements ? Posons le problème en termes un peu différents : combien de personnes nourries par l’un et par l’autre à surface égale ? Un élément de réponse :
« Armel va produire deux fois moins que son voisin André mais il va pouvoir vendre son lait ou ses céréales deux fois plus cher. L’un dans l’autre il s’y retrouve et ne craint plus les interdictions de pesticides. »
Mais, tout en haut du tableau d’horreur, il faut mettre : « Glyphosate : des scientifiques dénoncent l’étude de l’EFSA, « une évaluation anonyme » (Robert Bellé, toxicologue) ». Voilà donc un scientifique, qui se prévaut de sa qualité de scientifique, qui fait un commentaire dans la droite ligne des insinuations des activistes. Il est vrai qu’il est aussi un des signataires de la fameuse lettre envoyée le 27 novembre 2015 par un groupe de scientifiques menés par M. Christopher J. Portier au Commissaire à la Santé et la Sécurité Alimentaire Vytenis Andriukaitis pour contester les conclusions de l’EFSA et lui demander de les classer sur le mode vertical (voir notamment ici sur ce site).
L’argumentation est impressionnante : c’est maintenant l’OMS et la FAO qui disent… mais sus à l’évaluation de l’EFSA. Ou encore : on connaît les noms des experts du CIRC… pas ceux de l’EFSA… qui a donc produit« en quelque sorte une évaluation anonyme qui a des conséquences extrêmement graves« .
Nous, nous pensons que des scientifiques qui utilisent ce genre d’argument, c’est extrêmement grave.
—