Êtes-vous étonné par l'ampleur du mouvement de solidarité envers les réfugiés que l'on constate ces derniers jours en France, comme dans toute l'Europe ?

Disons que cela a été très lent à démarrer. Comme à chaque fois dans ce genre de crise, il a fallu qu'il se produise quelque chose de particulier, en l'occurrence la photo de cet enfant syrien, pour que les consciences se réveillent. Jusqu'ici, les milliers de morts suite à des traversées périlleuses de la Méditerranée avaient peu fait bouger l'opinion. On voit que les choses ont un peu basculé, puisque désormais une majorité de Français se dit favorable à l'accueil de réfugiés.L'Ethiopie en 1985, le Soudan en 1993... A chaque fois que des crises humanitaires surviennent, c'est souvent une photo qui déclenche ce genre de réflexes et ces mouvements incroyables de mobilisation.

Comment cette générosité va-t-elle concrètement se traduire selon vous ? Les dons vont affluer ?

Il va y avoir beaucoup de dons, mais ce ne sera certainement pas les records du tsunami de 2004 ou d'Haïti en 2010, pour lesquels les Français avaient à l'époque donné 300 millions et environ 150 millions d'euros : quand on est face à des catastrophes naturelles, la générosité est toujours bien plus importante.

A chaque fois qu'une crise concerne un conflit armé, les gens sont moins enclins à donner parce qu'ils considèrent que c'est le malheur des hommes qui a été créé par eux-mêmes. Le problème par ailleurs, c'est que les migrants viennent chez nous.

Quand on aide à distance, il y a plus de facilité à donner pour se racheter une conscience et un peu de satisfaction morale. Mais là, cette misère et ce malheur débarquent sur nos côtes européennes. La question, c'est quelle est notre capacité d'accueil au-delà de faire des dons.

 

 

Selon vous, la mobilisation risque donc de rapidement s'essouffler ?

C'est quelque chose qui va perdurer un peu mais, comme à chaque fois, retomber dans les semaines qui viennent. S'il n'y a rien d'autre de marquant comme la photo de cette enfant, cela va devenir quotidien et banal, et l'actualité va passer à autre chose. C'est d'autre part une situation qui risque de nous impacter territorialement. On sent aujourd'hui un malaise en France entre ceux qui disent on ne va pas les accueillir et les autres qui se mobilisent. Quand les Allemands annoncent qu'ils vont accueillir 800.000 personnes, nous on se contorsionne pour en accueillir 24.000 en deux ans. On voit qu'il y a un vrai débat.

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Les associations disent recevoir beaucoup de propositions d'hébergement chez des particuliers. Est-ce une manifestation inédite de générosité ?

Je n'ai pas connu d'autres époques d'accueil de réfugiés, comme celles d'après les guerres. Le mouvement équivalent le plus important, c'est celui des "boat people" vietnamiens et cambodgiens (à la fin des années 1970, ndlr), mais il était alors organisé sur le plan institutionnel, il y avait une volonté d'Etat d'accueillir ces gens. Donc des accueils de personne à personne comme cela, je n'en ai pas connu. Ceci dit, je pense que cela reste quand même très minoritaire. C'est respectable et exemplaire, mais cela va rester à quelques centaines, peut-être un petit millier de propositions.

Des voix commencent à s'élever pour réclamer une même mobilisation pour les Roms que pour les réfugiés de Syrie et d'Irak. Peuvent-elles être entendues ?

C'est terrible comme situation mais il y a des hiérarchies dans les malheurs, des hiérarchies dans les victimes. Le malheur frappe aveuglément et la générosité est très injuste, elle se porte à l'endroit qui vous touche plus vous que la victime.

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