19 octobre 2017
21:39
La CEDH vient de rendre une décision intéressante concernant l'affaire Navalny, si sensible en cette période préélectorale russe.
Elle a estimé que la justice russe a pris une décision politique ... parce que Navalny est un "leader de l'opposition".
Mais elle-même n'a en rien pu démontrer ce lien politique dans les décisions rendues par la justice russe pour escroquerie et l'activisme de Navalny, elle ne fait que le poser comme un fait acquis et ne nécessitant aucune démonstration. Etrange conception de la "justice" ...
Dans sa décision du 17 octobre 2017 Navalny contre Russie, la CEDH s'est surpassée en subtilité, la suggestion remplaçant la démonstration.
Ainsi, dès les premières lignes, Navalny est dénommé "leader de l'opposition". Or, il n'est pas ici jugé pour son activité politique, mais pour l'utilisation de la place de son frère à la Poste russe pour développer des schémas commerciaux plus que douteux, qualifiés d'escroquerie par la justice russe.
En mettant la lumière sous cet angle, la CEDH place automatiquement l'affaire sur un plan politique, comme si Navalny ne vivait que de son activisme politique. Comme si un "opposant" au fameux "régime de Poutine" ne pouvait être un escroc. A priori.
Par ailleurs, la dénomination de "leader" de l'opposition est un parti-pris quelque peu contestable, lorsque l'on sait qu'il n'a jamais pu mobiliser un électorat et que sa cote de popularité est particulièrement faible (stable autour de 1%), sauf chez les écoliers, comme l'a montré sa dernière tentative de manifestation de masse "contre la corruption" (voir notre texte ici). Sa capacité est principalement celle de la nuisance, il ne s'agit pas de la défense d'un projet politique positif.
Mais la CEDH continue dans la suggestion en posant comme fait acquis, sans démontrer le lien entre les éléments du dossier, qu'il est poursuivi en raison de son combat contre la corruption dans les milieux de pouvoir:
Sur la même période, Aleksey Navalnyy orchestra une campagne anti-corruption, de plus en plus médiatisée, qui ciblait des hauts fonctionnaires et organisa un certain nombre de rassemblements politiques, dont une manifestation sur la place Bolotnaïa, à Moscou, en mai 2012. Ce rassemblement avait pour but de protester contre « des irrégularités et des fraudes » qui avaient entaché l’élection présidentielle au début de 2012. Il enquêta également sur les activités parallèles du chef de la commission d’enquête de la Fédération de Russie. En avril 2012, la commission d’enquête ouvrit une procédure pénale à l’encontre d’Aleksey Navalnyy dans le cadre d’une autre affaire de détournement de fonds
Les faits étant posés, à quoi bon s'interroger sur les liens, la juxtaposition de faits n'implique pas obligatoirement l'existence d'un lien entre eux. C'est d'ailleurs ce que répètent à loisir les différents pouvoirs invoquant la très utile "théorie du complot", à laquelle d'une certaine manière recourt la CEDH. Ne pouvant, comme juridiction, prendre de décision politique, elle ne fait qu'insinuer. Car sur le fond, elle ne peut pas faire gand chose. Comme elle le reconnait elle-même:
La Cour souligne qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la responsabilité pénale individuelle des requérants, cette appréciation incombant en premier lieu aux juridictions internes
Or, c'est exactement ce qu'elle fait ... mais sans le dire. Ce qui est une tradition dans les affaires Navalny devant la CEDH (voir notre article ici). Elle estime que les juges du fond en Russie n'ont pas correctement interprété certains articles du Code pénal russe, notamment en ce qui concerne les éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie.
De là découle que le procès devant les juridictions nationales était à ce point arbitraire qu'il entraîne automatiquement la violation de l'article 6. Ce qu'il n'est pas non plus nécessaire de démontrer. Assez pratique.
Il semblerait que l'on soit très loin d'une logique de justice, une fois n'est plus coutume.
CITOYENS ET FRANCAIS