Vendredi 10 avril à Saint-Fort-sur-le-Né, un village de Charente. Il est 13h quand une voiture manque un virage serré et termine sa course dans le fossé… Pourtant blessé, le conducteur parvient à s’extraire du véhicule et s’enfuit avant l’arrivée des gendarmes. Le véhicule avait été volé 48 h plus tôt. Les riverains parviendront à orienter les forces de l’ordre et l’équipe cynophile parviendra à retrouver sa piste et à quadriller la zone. L’interpellation est musclée: caché derrière l’église du village, il cherchera à se défendre avec une hachette, avant que le chien ne l’immobilise par une morsure à l’épaule.
L’individu faisait partie des 10.000 détenus libérés de manière anticipée depuis un mois, en raison du Covid-19. à peine sorti de prison, il y retournera donc. Pourtant, du côté du ministère de la Justice, la fierté semble de mise:
«La diminution constatée au 13 avril est de 9.923 détenus depuis le 16 mars», a déclaré Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire, lors d’une audition par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, ce mercredi15 avril.
Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, avait justifié cette mesure pour endiguer la propagation du virus dans les prisons, après de nombreuses mutineries à travers la France en raison de la suspension des parloirs. Le taux de surpopulation carcérale s’élèverait désormais à 103%, avec 62.650 détenus au 15 avril, alors qu’il était à 119%, avec plus de 72.400 détenus au 1er mars. Le problème de la surpopulation carcérale serait donc résolu en France, non en raison de la construction de places de prison supplémentaires, comme le gouvernement l’avait promis en 2018 au gré des réformes de la justice, mais du fait du Covid-19.
Qui sont-ils, ces détenus libérés avant l’heure?
Une décision sanitaire qui se confond toutefois avec le laxisme pénal. «J’ai notamment demandé aux juridictions de différer la mise à exécution des courtes peines d’emprisonnement», avait de surcroît précisé Nicole Belloubet. À la Chancellerie, on affirme que les personnes libérées sont des condamnés en fin de peine. Les ordonnances présentées par la Garde des Sceaux en Conseil des ministres précisent le mécanisme: a priori, il s’agirait de détenus dont il resterait moins de six mois d’incarcération… quel que soit le motif, exception faite des détenus condamnés pour violences intrafamiliales ou des terroristes djihadistes. Mais Le Point a révélé la semaine passée que 130 radicalisés (convertis en prison après leur condamnation, notamment) avaient été libérés depuis un mois.
Sur 10.000 détenus libérés, combien de récidives?
Et avec eux, de nombreuses petites frappes. Ainsi un homme a-t-il été interpellé hier 14 avril aux Sables-d’Olonne, vers 21h45. C’est un témoin qui a donné l’alerte: fortement alcoolisé, l’individu aurait frappé sa femme en pleine rue la victime aurait reçu un coup de poing et visage et un coup de pied au genou. Ce détenu était sorti de prison l’avant-veille.
Un jeune homme de 20 ans est quant à lui retourné par la case prison, le 1er avril, pour ne pas avoir respecté le confinement. Condamné pour des cambriolages quand il était mineur, il a été contrôlé à trois reprises par la police entre dimanche 12 et mardi14 avril. C’est à la quatrième verbalisation qu’il a été emmené en garde à vue pour être jugé, ce mercredi. Le tribunal de Saint-Étienne l’a condamné à quatre mois de prison, cinq jours après avoir quitté la maison d’arrêt de La Talaudière. Pas de doute, donc: le plan de libération anticipée de Nicole Belloubet fonctionne à merveille.
Le 5 avril à 4h00 du matin, un autre jeune homme, de 22 ans, agressait une femme médecin à Villeurbanne. Criant et se débattant, le médecin poussa le délinquant à fuir avec le véhicule. Mais la police parvint à le retrouver. C’est à Saint-Étienne que la brigade anti-criminalité a procédé à l’interpellation de l’individu. L’auteur des faits était connu pour 60 mentions au fichier de traitement d’antécédents judiciaires (TAJ). Il était sorti deux semaines auparavant, mais on ignore s’il avait bénéficié du plan de libération anticipée de Nicole Belloubet.
Pour l’avocat Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut pour la Justice, un tel plan demeure une solution de facilité. Il a tiré la sonnette d’alarme au micro de Sputnik, soulignant un précédent historique pour le moins inquiétant:
«En 1981, la libération anticipée à la faveur d’un décret de grâce et d’amnistie de plus de 5.000 détenus s’est traduite l’année suivante par un bond de 20% du taux de criminalité, qui est passé de 53,5 à 63 pour mille.»
À quel bond faudra-t-il s’attendre, dans la France post-coronavirus?