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14 février 2014 01:55

L’aspiration ukrainienne à la liberté peut-elle faire tache d’huile en Russie ?

La Russie à l’épreuve 
du vent de liberté ukrainien

Rien n’est plus classique que le problème de l’Ukraine dans le temps, long, de l’Histoire russe, et rien non plus n’est si aléatoire dans l’analyse de la crise présente. L’Ukraine est depuis toujours rebelle au pouvoir central de Moscou. Rattachée tardivement à l’empire russe, lorsque déjà les deux tiers de la Sibérie avaient été conquis, elle a tiré de sa longue domination par les Polonais à l’ouest et les Turco-Tatars à l’est, des habitudes d’anarchie, mais également de liberté élémentaire. Le modèle social original que l’empire russe développa a donc toujours été sensiblement différent de celui qui prévalait en Russie du nord : au lieu de la communauté paysanne installée dans les défrichements de la forêt et reliée par toutes ses fibres à un pouvoir centralisé et autoritaire, le paysan ukrainien s’est reconnu dans le mode de vie cosaque, où le paysan n’est assujetti au pouvoir politique qu’en temps de guerre par un contrat de service militaire, mais reste libre dans son village cosaque, « stanitsa », sans autre obligation à un propriétaire foncier.

Le type social ukrainien comporte donc, dans sa matrice la plus fondamentale, un élément de révolte permanent qui a conduit, au fil des siècles, à une remise en cause, plus ou moins forte selon les périodes, des liens avec le Nord. Or ce « mauvais esprit ukrainien » est lui-même relativement indépendant de la question linguistique : la langue ukrainienne, qui fut longtemps un simple dialecte russe, demeure parlée dans ce qui reste des campagnes, mais n’a jamais pénétrée vraiment dans le monde des villes.

A l’inverse, les nombreux immigrants, venus du nord de la Russie la plus pauvre pour y travailler dans les mines et la sidérurgie, lorsque l’Ukraine orientale – le Donbass – fut devenue la véritable « Ruhr » de l’empire russe, s’assimilèrent au mode de pensée régionale, sans pour autant en adopter la langue, mais certainement les mœurs. De fait, il n’y eut pas en 1991 de grands mouvements séparatistes pro-russes qui demandaient leur rattachement à Moscou. L’Ukraine ne sera jamais la Croatie de l’ancienne Union soviétique. Ou plutôt, cette solution catastrophique s’est esquissée depuis 1955 dans l’Ukraine occidentale où l’identité linguistique est vivace, mais surtout l’identité géopolitique marquée par l’appartenance à la Pologne puis à l’Autriche-Hongrie, et à nouveau à la Pologne jusqu’en 1944. Cette dissidence culturelle s’est durcie au fil des siècles par une identité religieuse spécifique, la reconnaissance par l’Eglise locale « uniate » de la primauté de Rome et de la théologie catholique, et l’engagement de cette minorité ukrainienne dans la lutte contre la Russie aux côtés de l’Allemagne nazie. Mais il ne faudrait pas oublier pour autant que les trois quarts des Ukrainiens réels ont combattu en première ligne l’envahisseur hitlérien et que l’on ne compte pas le nombre de généraux et de grands administrateurs soviétiques issus d’Ukraine.

Il en a résulté l’instauration d’une indépendance consensuelle en 1991… mais qui est à peine une indépendance. Côté positif, cette ambiguïté a permis la coexistence pacifique de plusieurs Ukraine dont les personnalités demeurent bien distinctes (il faudrait y ajouter la création récente par le Duc de Richelieu du port d’Odessa, dont la population fut toujours essentiellement grecque et juive). Mais, à l’inverse, cette structure non antagonique de l’identité ukrainienne a paradoxalement renforcé l’antagonisme politique avec l’envahissant voisin russe plus au nord.

Ce séparatisme-là n’a pas été pris en compte ni compris en profondeur par les dirigeants récemment au pouvoir à Moscou : ni Gorbatchev, pourtant de mère Ukrainienne et Cosaque, ni Eltsine, et Poutine encore moins que les autres, en raison de l’éducation jacobine qu’il reçut au KGB. Même maintenant que l’Ukraine est gouvernée par le Parti des régions, russophone et basé dans le Donbass, elle n’a jamais demandé de retour véritable vers la Russie, plus par volonté de liberté que par irrédentisme agressif.

En revanche, l’aspiration européenne signifie avant tout, dans toutes les couches de la société, et presque dans toutes les nuances de l’opinion, la demande d’Etat de droit, de respect des individus, de pouvoir des citoyens, en bref l’Etat civilisé dont l’Ukraine n’a jamais joui depuis l’instauration de son indépendance en 1991. Une grande majorité d’Ukrainiens comparent le marasme qui est le leur et l’optimisme prospère qu’exhale la Pologne voisine, succès de l’intégration européenne.

Les manifestants de Kiev n’ont que faire des difficultés de l’euro ou des législations trop contraignantes de Bruxelles. Ils veulent d’abord et avant tout se débarrasser des oligarques qui les dominent sans partage, comme n’ont jamais pu le faire leurs homologues russes, toujours bridés par un état centralisé et des élites non économiques mieux capables de se défendre, au point d’avoir produit la reprise en main autoritaire de Vladimir Poutine depuis l’an 2000. Mais ce qui peut se présenter comme étatisme de ressentiment à Moscou devient européanisme d’espoir à Kiev.

C’est ici qu’un maximum d’incertitudes se fait jour. Tant que durent les Jeux olympiques de Sotchi, Poutine essaiera d’éviter l’approfondissement de la crise. Du reste, il n’y a aucun appétit de guerre civile ni chez les russophones et les ouvriers du Donbass qui constituent le socle du Parti des régions au pouvoir, ni dans une armée ukrainienne à peu près réduite à zéro et une police mal payée qui, de toute évidence, ne jouera pas le rôle de garde prétorienne ultime du régime. Mais attention, cette majorité pro-européenne et démocratique qui émerge ne peut que se heurter à ses habituels travers qui avaient déjà fait dérailler la première Révolution Orange de 2004-2005 : bien des chefs qui avaient donné le sentiment que l’on avait échangé une oligarchie établie contre une oligarchie naissante et pleine d’appétit, manquent de mobilisation civique une fois les élections libres organisées et le pouvoir, déjà tourné vers Moscou, contraint à une retraite précipitée. Si l’ancien champion de boxe Vitali Klitschko parvient à émerger du chaos et à s’entendre avec l’icône de l’indépendance ukrainienne Ioulia Timochenko, une transition en douceur vers une démocratie plus substantielle est envisageable.

Mais pour Vladimir Poutine, le défi est de taille. Les manifestants du sud ne vont pas tarder à redonner du tonus aux mouvements démocratiques du nord, qui avaient déjà fait vaciller le pouvoir de plus en plus autocratique de Poutine depuis trois ans environ.

L’appétence européenne des libéraux de Moscou et de Saint-Pétersbourg n’est pas inférieure à celle des manifestants de Kiev et de Kharkov. Ici, la crise ukrainienne, qui n’est pas difficile à résoudre peut faire tache d’huile et créer une crise russe d’un maniement beaucoup plus complexe.

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CITOYENS ET FRANCAIS - dans International